Problem of “swiftness” and non suspension of removal reemerged in asylum case of W Saharans in Spain
A.C. and others v. Spain, 22 April 2014
“…a) Principes généraux applicables
81.Les principes généraux relatifs à l’effectivité des recours et des garanties fournies par les États contractants en cas d’expulsion d’un demandeur d’asile en vertu des articles 13 et 3 combinés de la Convention sont résumés dans l’arrêt M.S.S. c.Belgique et Grèce [GC], no30696/09, §§286-293, CEDH 2011).
82.La Cour réitère les principes inhérents à l’article 13 de la Convention, qui garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils y sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (Kudła c.Pologne [GC], no30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI, et M.S.S. c.Belgique et Grèce, précité, § 288).
83.Dans cet arrêt M.S.S., la Cour a d’abord rappelé le caractère subsidiaire que revêt, par rapport aux systèmes nationaux, le mécanisme de plainte devant elle, puisqu’elle se garde d’examiner elle‑même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les États remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire vers le pays qu’il a fui (§§ 286 et287).
84.La Cour reconnaît une marge d’appréciation aux États contractants, en ce que «l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’«instance» dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13 même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul» (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no25389/05, § 53, CEDH 2007‑II, M.S.S. c.Belgique et Grèce, précité, §289 et I.M. c.France, précité, §129).
85.En revanche, l’effectivité commande des exigences d’accessibilité et de réalité: pour être effectif, le recours exigé par l’article 13 doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’État défendeur (Çakıcı c. Turquie [GC], no23657/94, § 112, CEDH 1999‑IV, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §290).
86.Dans son examen des recours ouverts aux demandeurs d’asile en Grèce, la Cour a également réaffirmé que l’accessibilité en pratique d’un recours est déterminante pour évaluer son effectivité (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 318).
87.Par ailleurs, l’effectivité implique des exigences en termes de qualité, de rapidité et d’effet suspensif, compte tenu en particulier de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements. Ainsi, «l’article 13 exige un recours interne habilitant à examiner le contenu du grief et à offrir le redressement approprié, même si les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose cette disposition» (Jabari, précité).
88.L’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no36378/02, § 448, CEDH 2005‑III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (Jabari, précité, § 50) ainsi qu’une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004‑IV (extraits), De Souza Ribeiro c. France [GC], no22689/07, § 82,CEDH 2012). Par ailleurs, compte tenu de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation d’un risque de torture ou de mauvais traitements, la notion de recours effectif au sens de l’article 13 requiert la possibilité de faire surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion (Jabari, précité, § 50). La Cour a en effet estimé qu’en matière d’éloignement du territoire, un recours dépourvu d’effet suspensif automatique ne satisfaisait pas aux conditions d’effectivité requises par l’article 13 de la Convention (Čonka, précité, §83, Sultani c.France, no45223/05, § 50, CEDH 2007‑IV (extraits), Gebremedhin, précité, § 66, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no27765/09, § 200, CEDH 2012, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§290 à 293, De Souza Ribeiro, précité, § 82). A plus forte raison, les mêmes principes s’appliquent lorsque l’expulsion expose le requérant à un risque réel d’atteinte à son droit à la vie, protégé par l’article 2 de la Convention.
89.Une attention particulière doit être prêtée à la rapidité du recours lui‑même puisqu’il n’est pas exclu que la durée excessive d’un recours le rende inadéquat (Doran c. Irlande, no50389/99, § 57, CEDH 2003-X).
b)Application en l’espèce des principes susmentionnés
90.La Cour relève que la question qui se pose en l’espèce est celle de l’effectivité des recours exercés par les requérants, visés par une mesure d’éloignement, pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention. Si l’accès à ces voies de recours n’est pas en cause en tant que tel, le fait qu’elles n’aient été assorties d’un effet suspensif que pendant une durée limitée, et non jusqu’à la décision définitive sur le bien-fondé des demandes de protection internationale, est susceptible de porter atteinte à leur effectivité.
91.À cet égard, la Cour estime nécessaire de souligner qu’en ce qui concerne les requêtes relatives à l’asile et à l’immigration, telles que celles des requérants, elle se consacre et se limite, dans le respect du principe de subsidiarité, à évaluer l’effectivité des procédures nationales et à s’assurer que ces procédures fonctionnent dans le respect des droits de l’homme (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§286 et 287).
92.Dans les présentes affaires, la Cour relève que le fait que les juridictions internes poursuivent à ce jour l’examen des demandes de protection internationale présentées par les requérants ne permet pas de conclure au caractère non défendable de leurs griefs.
93.Cela dit, en l’occurrence, la Cour n’a pas à se prononcer sur la violation de ces dispositions si les requérants devaient être expulsés. Il appartient en effet en premier lieu aux autorités espagnoles, responsables en matière d’asile, d’examiner elles-mêmes les demandes des requérants ainsi que les documents produits par lui et d’évaluer les risques qu’ils encourent au Maroc. La préoccupation essentielle de la Cour est de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent les requérants contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers leur pays d’origine (M.S.S. c.Belgique et Grèce, précité, §298), dès lors que les recours sur le fond des requérants sont pendants devant les juridictions nationales.
94.On ne saurait exclure que, dans un système où la suspension est accordée sur demande, au cas par cas, elle puisse être incorrectement refusée, notamment s’il devait s’avérer ultérieurement que l’instance statuant au fond doive quand même annuler la décision d’expulsion litigieuse pour non-respect de la Convention, par exemple parce que l’intéressé aurait subi des mauvais traitements dans le pays de destination. En pareil cas, le recours exercé par l’intéressé n’aurait pas présenté l’effectivité voulue par l’article 13 (Čonka, précité, § 82). Dans ce contexte, l’exception du Gouvernement selon laquelle les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes doit être rejetée. La Cour rappelle à cet égard que lorsqu’un individu se plaint de manière défendable que son renvoi l’exposerait à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, les recours sans effet suspensif ne peuvent être considérés comme effectifs au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
95.Il convient de souligner que les exigences de l’article 13, tout comme celles des autres dispositions de la Convention, sont de l’ordre de la garantie, et non du simple bon vouloir ou de l’arrangement pratique. C’est là une des conséquences de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique inhérents à l’ensemble des articles de la Convention (voir, mutatis mutandis, Iatridis c. Grèce [GC], no31107/96, § 58, CEDH 1999‑II).
96.En l’espèce, la Cour observe que les requérants ont exercé les voies de recours disponibles dans le système espagnol pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention : ils ont déposé des demandes de protection internationale auprès de l’Office de l’asile et des réfugiés du ministère de l’Intérieur, qui furent rejetées, tout comme leurs demandes de réexamen. Les requérants présentèrent par la suite des recours de contentieux administratif contre les décisions leur faisant tort, en demandant en même temps la suspension de l’exécution de la mesure d’expulsion, sur la base de l’article 135 de la loi no29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif.
97.Les craintes exprimées par les requérants relatives à des mauvais traitements susceptibles de leur être infligés en cas de retour dans leur pays d’origine ne sont pas, à première vue et sans aucunement préjuger l’appréciation des juridictions espagnoles quant à leur bien-fondé, irrationnelles ou manifestement dépourvues de fondement, tant en raison de la situation générale au Maroc dérivée du démantèlement du campement de Gdeim Izik au Sahara occidental (paragraphes 47 à 59 ci-dessus) que des situations particulières alléguées par les requérants.
98.Bien que les autorités espagnoles soient les seules compétentes pour se prononcer en dernier ressort sur l’existence ou non des motifs pouvant faire obstacle aux expulsions décrétées à l’égard des requérants, l’on ne saurait exclure qu’il existe suffisamment d’éléments pour surseoir à l’exécution des décision prises par l’Administration tant que les juridictions internes n’ont pas examiné de façon détaillée et en profondeur le bien-fondé des demandes de protection internationale présentées par les requérants. Certes, la Cour est consciente de la nécessité pour les États confrontés à un grand nombre de demandeurs d’asile de disposer des moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux, ainsi que des risques d’engorgement du système.
99.La Cour reconnaît que les procédures d’asile accélérées, dont se sont dotés de nombreux États européens, peuvent faciliter le traitement des demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Elle a d’ailleurs déjà eu l’occasion d’estimer que le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne privait pas l’étranger en rétention d’un examen circonstancié dès lors qu’une première demande avait fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure d’asile normale (Sultani c.France, no 45223/05, §§ 64-65, CEDH 2007‑IV (extraits)). En l’espèce, se penchant tout particulièrement sur le cas des treize premiers requérants exposé au paragraphe 44 ci-dessus, la Cour observe toutefois que l’Audiencia Nacional avaitordonné le 27 janvier 2011 à l’Administration de surseoir provisoirement aux expulsions, le temps d’examiner les demandes de mesures provisoires présentées. Le lendemain, l’Audiencia Nacional décida toutefois de rejeter lesdites demandes de suspension des ordres d’expulsion pris à l’encontre desdits requérants, considérant que les moyens formulés à l’appui de leurs recours ne permettaient de conclure ni à l’existence dans leur chef de situations d’urgence spéciale susceptibles de justifier une suspension de toute expulsion du territoire national ni à la perte d’objet de la procédure au fond en cas d’exécution des mesures d’expulsion en cause.
100.La Cour constate qu’en l’espèce le caractère accéléré de la procédure n’a pas permis aux requérants d’apporter des précisions sur ces points, dans le cadre de leur seule possibilité de surseoir aux expulsions, la procédure quant au bien-fondé n’ayant pas en soi de caractère suspensif. Si la Cour reconnaît l’importance de la rapidité des recours, elle considère que celle-ci ne devrait pas être privilégiée aux dépens de l’effectivité de garanties procédurales essentielles visant à protéger les requérants contre un refoulement vers le Maroc (I.M. c. France, précité, §§147).
101.Elle souligne que seule l’application de l’article 39 de son règlement a pu suspendre l’éloignement des requérants. En effet, à la suite du rejet de leurs demandes de mesures provisoires devant l’Audiencia Nacional, rien ne pouvait plus faire obstacle à la mise à exécution de leur éloignement.
102.Si l’effectivité des recours au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend certes pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant, la Cour ne peut manquer d’observer que, sans son intervention, les requérants auraient été refoulés vers le Maroc sans que le bien-fondé de leurs recours ait fait l’objet d’un examen aussi rigoureux et rapide que possible (voir, mutatis mutandis, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §388), les recours du contentieux administratif qu’ils avaient déposés n’ayant pas, en tant que tels, d’effet suspensif automatique susceptible de surseoir à l’exécution des ordres d’expulsion prononcés à leur encontre.
103.En outre, la Cour constate que les requérants sont arrivés en Espagne entre janvier 2011 et aout 2012 et que, depuis, ils ont été dans une situation provisoire d’incertitude juridique et de précarité matérielle dans l’attente des décisions définitives sur leurs recours. Nul doute qu’une exigence de célérité et de diligence raisonnables est implicite dans ce contexte et qu’il n’est pas exclu que la durée excessive d’une procédure puisse la rendre inadéquate. La Cour estime que dès lors qu’un recours n’a pas d’effet suspensif ou que la demande de suspension est rejetée, il est essentiel que dans les affaires d’expulsion où sont en cause les articles2 et 3 de la Convention et lorsque la Cour a fait application de l’article39 de son règlement, les juridictions fassent preuve d’une diligence de célérité particulière et statuent sur le fond dans des délais rapides. Si tel n’était pas le cas, les recours perdraient leur efficacité.
104.La Cour est consciente de la nécessité pour les États confrontés à un grand nombre de demandeurs d’asile de disposer des moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux, ainsi que des risques d’engorgement du système. Toutefois, tout comme l’article 6 de la Convention, l’article 13 astreint les États contractants à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de cette disposition (voir, mutatis mutandis, Süßmann c. Allemagne, 16septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, § 55).
105.En conclusion, les requérants ne disposaient pas d’un recours remplissant les conditions de l’article 13 pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention. Dès lors, il y a eu violation de l’article13 de la Convention combiné avec les articles 2 et 3.“
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